3 juin 2020

« La confiance sera le facteur déterminant »

Olivier Mantei Directeur du théâtre national de l’Opéra-Comique, copropriétaire du théâtre des Bouffes du Nord et président des Heures musicales de l’abbaye de Lessay (Manche) Autant de lieux, autant de cas particuliers, explique Olivier Mantei, qui détaille quelques enjeux de leur réouverture au public.

Quelles sont les conditions nécessaires à la réouverture des salles de spectacle ?

Olivier Mantei : La réouverture ne sera possible que sur la base d’une confiance partagée entre les organisateurs, les artistes et le public. C’est là le facteur essentiel. Cette confiance repose sur deux fondements : la garantie de la sécurité sanitaire de tous et l’envie, le plaisir de produire, donner et recevoir un spectacle. Cela dit, il n’y a que des cas particuliers, selon les salles, leur taille, leur volume, leur jauge, leur programmation, leur structure financière. Pour certaines, la réouverture sera relativement facile, pour d’autres, impossible, à moins d’inventer autre chose.

Le facteur financier est déterminant.

O. M. : Oui, et la crise souligne et creuse les inégalités entre les structures. Pour schématiser, il y a celles qui bénéficient de subventions supérieures à 50 % de leur budget et les autres. Les premières voient leurs frais fixes supportés par les subventions et pourront ainsi rouvrir à jauge réduite sans entamer trop lourdement leurs ressources. Les secondes, comme les Bouffes du Nord, payent les frais fixes sur leurs ressources propres dont la billetterie. À la rentrée, nous devions y reprendre Contes et légendes de Joël Pommerat, un spectacle à gros effectif artistique impossible à supporter financièrement si la salle n’est pas pleine. Il est inconcevable de proposer cette production « au rabais », donc nous serons sans doute amenés à programmer une autre pièce du même auteur impliquant une plus petite équipe, moins coûteuse en termes de frais artistiques.

Comment parvenez-vous à maintenir le festival de Lessay à partir du 17 juillet ?

O. M. : Avec quelques modifications de programme pour limiter à 30 le nombre d’artistes par concert, une jauge réduite de moitié et la suppression des entractes. Ainsi nous respecterons les mesures sanitaires sans diminuer la qualité, je dirais même au contraire : dans cette vaste abbaye, écouter de la musique à bonne distance les uns des autres, dans une ambiance recueillie, avec des musiciens « spacialisés », est un luxe que nous pouvons nous permettre. Bien que les ressources propres s’élèvent à 65-70 % du budget, elles proviennent en bonne part de mécènes qui maintiennent leur soutien tandis que nos frais de fonctionnement sont minimes.

Il en va tout différemment à l’Opéra-Comique…

O. M. : Où nous reportons à 2023 notre spectacle de rentrée, Carmen de Bizet, qui cumulait tous les facteurs actuellement pénalisants : un orchestre venu de Shanghaï dans la fosse, des chanteurs internationaux, une maîtrise et des chœurs sur scène, des décors fabriqués à Zurich, notre coproducteur… Inenvisageable sans remplir la salle à 90 % ! Nous allons essayer de remplacer par Le Bourgeois Gentilhomme qui fait appel à un plus petit effectif et peut se jouer devant 600 à 700 personnes. Salle Favart, c’est une bonne jauge pour que l’alchimie opère et que le fluide passe entre artistes et spectateurs. Si les conditions sanitaires ne le permettent pas, nous proposerons alors autre chose : une inversion des places avec public (60 personnes environ) sur la scène et artistes dans la salle, dans un spectacle de type cabaret. Mais, pour un grand théâtre lyrique avec 8 millions d’euros de frais de fonctionnement comme l’Opéra-Comique, on peut faire cela exceptionnellement, sûrement pas toute une saison.

Comment évaluez-vous la psychologie du public et son désir de revenir dans les salles ?

O. M. : Je reviens à la confiance émanant de spectateurs rassurés et désireux de voir des artistes « vivants ». Pour autant, les situations ne sont pas homogènes. Nous savons que la musique classique attire plutôt des personnes d’un certain âge, légitimement sensibles à leur sécurité. Sur le plan économique, certains éprouveront des difficultés tandis que d’autres n’ont pas été entamés par la crise, auront même limité leurs dépenses et pourront payer cher leurs places. Nous allons tenir compte de cette large palette. Quant à l’accueil du public, le défi est de proposer un protocole sûr mais simple. Il ne faut surtout pas soumettre le spectateur à un fastidieux parcours d’obstacles !
  • Recueilli par Emmanuelle Giuliani,
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