10 juin 2020

Les festivals ? Quel festival !

L’été 2020 se déroulera sans le bouillonnement d’Avignon, d’Aix-en-Provence, d’Orange ou de La Chaise-Dieu, mais de nombreux directeurs relancent leurs manifestations. Jauges et nombre de concerts réduits, déploiement en plein air, les idées ne manquent pas.

Balade musicale, l’été dernier, au festival de Chaillol, dans les Hautes-Alpes. Cette année, il est redéployé sous la forme de résidences, de juin à décembre.
Balade musicale, l’été dernier, au festival de Chaillol, dans les Hautes-Alpes. Cette année, il est redéployé sous la forme de résidences, de juin à décembre. Alexandre Chevillard

Un nouveau festival dans les jardins de la villa Borghèse, organisé par l’Opéra de Rome. Des concerts «all stars» proposés par le Teatro San Carlo, sur la place du Plébiscite, à Naples. La tenue des festivals Rossini de Pesaro et de celui de Ravenna avec des vedettes comme Muti ou Gergiev. En Italie, le reflux du Covid-19 a fini par sourire aux organisateurs. Et en France? Alors qu’en Autriche, Salzbourg a maintenu son édition du centenaire dans une version allégée, notre pays a dû renoncer à la plupart de ses grandes manifestations: Aix-en-Provence, Avignon, Orange, Berlioz, La Chaise-Dieu… Pour eux, la relance n’est plus à l’ordre du jour. Aix prévoit bien une semaine de festival numérique sur Arte, avec captation de concerts d’artistes initialement programmés (même choix pour les Rencontres musicales d’Évian et le Festival baroque de Saint-Michel en Thiérache). Orange verra ses productions anciennes reprises sur France Télévisions en juillet et aura sa nuit piano-chant le 1er août, avec Tézier, Deshayes, Kaufmann, Alagna et Bryn Terfel. Mais sans public. Côté théâtre, seuls le Festival Nava, à Limoux, et celui de Ramatuelle auront lieu.

A-t-on annulé trop tôt les festivals, sabordant l’été par excès de précaution sous la pression des tutelles et des médias? C’est ce que pense le flûtiste Philippe Bernold, directeur de Saoû chante Mozart. La manifestation fait partie des résistants, qui s’étaient refusés à tirer un trait sur 2020 et dont les annonces de maintien nous remontent comme une pêche miraculeuse depuis la phase 2 du déconfinement. La Roque d’Anthéron fut parmi les premiers grands à dégainer, annonçant un programme flamboyant pour des jauges de 600 personnes en plein air. Depuis, la liste s’allonge: Lessay, Figeac, Saint-Céré, Menton, Flâneries de Reims, Solistes à Bagatelle, Noirlac, Rocamadour, Salon-de-Provence, Labeaume, Image sonore, Pablo Casals à Prades, les Jeunes Talents européens à Paris, Cordes en ballade, Festival des forêts, Valloire baroque, Saintes, Sisteron, 1001 notes, Debussy, Le Périgord noir… Très très loin de l’été blanc promis par les Cassandre, des dizaines d’événements, sûrement plus, témoigneront de la vitalité des festivals sur nos territoires.

Il a fallu se réinventer

Aucun triomphalisme, toutefois, chez les organisateurs. Tous en conviennent: pour exister, il leur a fallu se réinventer. «Pour tous ceux qui n’ont pas annulé, la situation est tout aussi abrupte», confirme Alexandra Bobes, directrice de France Festivals, qui tient quotidiennement à jour la liste des maintiens et des relances. «Un enfer», concède Philippe Bernold, qui a dû revoir trois fois sa copie depuis mars. Il accueillera la crème de la musique de chambre française (Adrien La Marca, Jérôme Pernoo, Thomas Enhco entre autres) pour des concerts extérieurs devant 150 à 300 personnes. À Sisteron, Édith Robert attend la validation du préfet. «Je le harcèle, mais l’absence de consigne gouvernementale pour les théâtres de plein air est infernale. Quant à la cellule d’accompagnement des festivals, elle n’a jamais répondu», enrage-t-elle. Elle s’efforcera de maintenir dans la Citadelle, pour 500 personnes par soir au lieu de 1500, sa trilogie musique, théâtre et danse. Mais la danse, à cause de la distanciation des artistes, devra se contenter d’une projection. Quant au théâtre, elle a opté pour un seul-en-scène (Bronx avec Francis Huster), mais «chaque jour d’incertitude nous met en péril car à cause des tournages les acteurs ont un planning très serré et n’aiment pas attendre».

Il y aura 270 places par concert, avec plusieurs flux d’entrée et de sortie, distribution de gel hydroalcoolique et port du masque

Olivier Mantéi, directeur des Heures musicales de Lessay

Pour faire vivre ces manifestations en dépit des contraintes sanitaires et du flou artistique entretenu par le ministère, les directeurs ont donc dû rivaliser d’imagination. Jauges réduites de moitié ou plus à Lessay ou Valloire. Déploiement en plein air et concerts doublés à Saoû. Actions culturelles en Ehpad ou «brigades musicales» dans les rues à Cordes en ballade. Retransmissions sur écran géant dans les jardins de l’abbaye à Saintes. Concerts en pleine nature au Festival des forêts… Les idées ne manquent pas. «Et les artistes, qui ont un vrai besoin de s’exprimer, suivent», poursuit Bernold. «Il faut louer leur souplesse», renchérit Olivier Mantéi, directeur des Heures musicales de Lessay.

Ces dernières accueilleront comme chaque année le meilleur du baroque français, des Arts florissants à Pygmalion, pour neuf concerts dans l’abbaye. «Il y aura 270 places par concert, avec plusieurs flux d’entrée et de sortie, distribution de gel hydroalcoolique et port du masque, détaille-t-il. Cette réduction de jauge permettra de spatialiser les musiciens et d’accueillir jusqu’à 30 instrumentistes et 28 choristes. Et avec moins de spectateurs, l’acoustique n’en sera que meilleure!» Quid de la faisabilité économique? «En réduisant la voilure des concerts, nous avons réduit les charges. Nous devrions arriver à l’équilibre. Surtout si le public répond.» Une incertitude que les premiers échos de billetterie commencent à lever. «En 24 heures, nous avions vendu 500 billets, ce qui proportionnellement à la jauge est similaire aux autres années», se réjouit-il.

Pour d’autres, les perspectives économiques restent floues. «Nous ne savons pas si nous récupérerons les frais engagés. Certains mécènes sont tentés de réduire leur aide en voyant que la voilure du festival a baissé», explique Bernold, tout en saluant la solidarité des artistes qui ont accepté de doubler leurs concerts pour un cachet. À La Roque d’Anthéron, René Martin concède un risque financier mais «nous nous devions de permettre la rencontre des artistes et du public», estime-t-il. Rencontre à laquelle Jean-Pierre Rousseau, directeur du festival Radio France Montpellier-Occitanie, n’a pas voulu renoncer non plus. Après avoir annulé à regret, il devrait officialiser sa relance symbolique sous la forme de dix concerts en plein air les 18 et 19 juillet avec les artistes programmés initialement.

Même chose pour Saint-Denis qui a reporté à l’automne «mais proposera un concert pour la Fête de la musique, explique Alexandra Bobes. Et Latitudes contemporaines à Lille, qui avait annulé, va relancer deux temps forts très importants de quinze jours en juillet et août!» Relance aussi sous d’autres formes à Châteauvallon ou Belle-Île-en-Mer. À Chaillol, enfin, dans les Hautes-Alpes, Michaël Dian a annulé dès mars son festival d’été pour mieux le redéployer sous la forme de résidences de juin à décembre. «Étant une scène conventionnée, nous avions décidé de payer les artistes malgré l’annulation. Très touchés, ils nous ont demandé s’ils pouvaient faire quelque chose sur le territoire.»

Ou comment le Covid-19 aura transformé un simple festival en sept mois de créations et de rencontres artistiques, sur l’un des territoires les plus isolés de France!

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