L’orgue de Lessay (Manche) souffle ses trente bougies, cet été. Inauguré le 21 juillet 1994
dans l’abbaye de la ville, l’instrument se démarque de l’architecture romane et épurée, avec sa forme en croix et sa couleur rouge. Michel Pinel, historien de la Manche, faisait partie de l’association qui a contribué à la création de cet orgue.
Un facteur d’orgue du Calvados
« Avant la Seconde Guerre mondiale, il y avait un autre orgue, commence l’historien.
On en sait très peu de choses, à part une photo et une mention en 1928. » En 1944, les bombardements du Débarquement allié touchent la ville.Le premier, le 7 juin, vise Lessay et fait de nombreux blessés, mais l’abbaye n’est pas très touchée. La destruction de la ville a lieu le lendemain, dans le bourg.
« C’est le 11 juillet que le soldats allemands, au moment de partir, ont fait sauter 25 mines au pied des piliers du transept. L’abbatiale s’est écroulée, et l’orgue avec… » La reconstruction a ensuite duré douze ans.
En 1993, l’association des Amis de l’abbatiale, dont Michel Pinel était le vice-président, crée le festival Les Heures musicales de l’abbaye de Lessay.
« L’année suivante, le président, M. Jeanson, a proposé de faire construire un orgue. Il a d’abord fait appel à un facteur d’orgue, Jean-François Dupont, originaire d’If (Calvados) . » Le facteur travaille alors avec un architecte de Honfleur, Henri Hémon. C’est lui qui construit le buffet, la structure en bois dans laquelle sont placés les tuyaux.
Un orgue moderne dans une abbaye romane
Après la proposition de Jean-François Dupont, des discussions débutent
« entre la paroisse, la commune, l’association et les monuments historiques ».
« Il fallait essayer de mettre tout le monde d’accord, explique Michel Pinel.
Une des questions, c’était de trouver l’emplacement. Il est très vite apparu qu’on allait le placer dans le croisillon nord du transept, c’est là qu’il était autrefois. C’était aussi le mieux du point de vue acoustique. »
Autre source de débat : la visibilité ou non de l’orgue depuis la nef.
« C’est un peu un intrus dans l’abbatiale. Elle a une valeur de monument roman : à la Reconstruction, l’architecte Yves-Marie Froidevaux avait essayé de lui faire retrouver sa simplicité et sa pureté d’origine. C’était difficile de caser un orgue moderne, rouge, dans un édifice comme ça… Ça pouvait choquer un peu. Mais c’était aussi la volonté du facteur : il voulait que ça suscite des réactions. »
L’année dernière, l’orgue a été restauré.
« Tous les vingt à trente ans, on doit faire un relevage, explique Hubert Bulot, titulaire de l’orgue de Lessay depuis une quinzaine d’années.
Ça consiste à nettoyer tous les éléments de l’orgue. C’est un travail assidu, car il y a 1 500 tuyaux, il faut tout dépoussiérer, puis réaccorder. » Avec ses 23 jeux, ses trois claviers et son pédalier, l’instrument est d’esthétique allemande :
« Il est plutôt fait pour jouer du Bach, des chorals. Il a un son scintillant, brillant, pour que toutes les voix des fugues soient audibles. »
Le 30 juillet, un concert a été donné pour les 30 ans de l’orgue par Olivier Latry, le titulaire de l’orgue de Notre-Dame de Paris.